Introduction 2019

MUTATIONS, MIGRATIONS, TRANSFORMATIONS
vers un monde hospitalier et vivant ?

Les Rencontres Orient Occident du Château Mercier 2019 s’inscrivent dans la ligne des manifestes d’Edgar Morin, de Patrick Chamoiseau, de Mireille Delmas Marty et d’Edwy Plenel, présentés au cours des ROO-Mercier 2018, invitant à réfléchir aux moyens de «changer de civilisation», de la refonder sur des «Relations poétiques», en visant une «mondialité apaisée», respectant le «devoir d’hospitalité», ainsi que les équilibres d’un environnement durable.

Des objectifs utopiques, lorsque l’on songe à tous les dérèglements qui bouleversent le monde actuellement ? Un monde en mutation accélérée, engendrant en particulier des migrations, phénomène propre à l’Homo Sapiens, comme nous le rappellera Pascal Picq, lors de l’ouverture des Rencontres, dont l’accélération suscite des courants populistes et des régimes autoritaires, accrochés à leur mode de vie, ainsi qu’à leurs pouvoirs…

Comment développer la mobilité mentale, pour saisir et orienter ces mutations dans un sens désirable, au lieu de s’enfoncer dans le chaos non seulement meurtrier, mais suicidaire de cette jungle ? Est-il encore possible d’éveiller la conscience de nos interdépendances, inéluctables, réformer un multilatéralisme à bout de souffle, mais essentiel pour sauvegarder les biens communs indispensables à la survie des êtres humains sur la planète Terre, en s’appuyant sur une société civile s’activant déjà dans ce sens, dans tout le bassin méditerranéen ?

Mais comment un tel changement pourrait-il intervenir sans l’adhésion de l’ensemble des populations, apeurées par les migrations, insécurisées économiquement et révoltées socialement par le creusement d’inégalités démesurées entre les plus riches et les plus pauvres, calant face aux transformations du monde et de leurs modes de vie, faute d’y avoir dûment été préparées ?

L’appel au respect des Droits Humains, pour résister aux discours dressant autochtones contre migrants, riches contre pauvres, actifs contre inactifs est contre-productif, lorsque trop de gens se sentent menacés. Les laissés pour compte de la globalisation et des « progrès » du numérique ne sont plus en mesure d’entendre les appels d’humanistes « bien-pensants », loin d’être exempts de contradictions !

Par contre les actes manifestant concrètement le respect de la dignité humaine de chaque personne peuvent s’avérer, eux, étonnement efficaces, comme Melhem Khalaf, le fondateur d’Offre-Joie viendra en témoigner…

Changer – le sens originel de « migrer »… – impliquerait donc de profonds changements de paradigmes et de vastes chantiers d’apprentissage au changement ! Mais la plupart des gens, – ” qui en ont raz le bol”, comme en témoignent par ex. les Gilets Jaunes – sont sans doute encore moins prêts à apprendre le changement, qu’à changer ! Comment donc susciter le désir de changer et de fournir l’effort nécessaire pour bien y parvenir ?!

Peut-être par l’exemple et la joie de citoyens de villes éco-solidaires ou des membres d’îlots inventant de nouveaux modes de vie, de relations humaines, d’économie, tels les Colibris ou les éco-villages ? Une joie rayonnante, plus profonde que le bien-être ou le bonheur, n’excluant ni les malheurs, ni la souffrance, mais capable de les transcender ? Cette Joie là – jaillissant des « Relations poétiques » dont Patrick Chamoiseau avait témoigné au cours des ROO-2018 – se diffusant comme une onde, au travers de chaque relation authentiquement humaine pourrait-elle s’avérer plus efficace que la morale, la coercition ou même l’argent ?

Changer de cap vers de telles expériences, en ouvrant conjointement des chantiers de ré-flexion et d’apprentissage, pour résister aux courants entraînant l’humanité vers une guerre civile généralisée, suscitée par l’amalgame entre les questions d’identité et de survie – un processus lumineusement diagnostiqué par Bertrand Badie, que le Château Mercier se réjouit d’accueillir à nouveau – tel est l’objectif auquel les ROO 2019 tenteront de contribuer, dans la mesure de leurs modestes moyens, en continuant – avec le concours d’écoles, lycées et institut académique valaisans – de rassembler des éclaireurs des changements à opérer dans les domaines de l’éducation, du philosophique, du spirituel, du géopolitique, de l’économique, sans cesser de s’appuyer sur les enseignements de l’histoire. Car tous ces domaines sont étroitement imbriqués et impliquent tous d’apprendre à « migrer » en priorité dans nos têtes, en commençant par apprendre à :

Démêler différents amalgames entre faits avérés et faits allégués, au sujet
- des routes de la migration éclairées d’un point de vue global par Catherine Withol de Wenden et d’un point de vue humanitaire par Caroline Abu Sa’Da, modérées par Johan Rochel
- de la politique européenne face aux crises migratoires avec Leoluca Orlando, Caroline Abu Sa’da Charles Heller, modérés par Riccardo Bocco
- de l’Iran, avec Jean-Pierre Perrin et Jean-François Bayart
Comprendre le phénomène de la migration des religions, notamment du christianisme d’une part, sur les pas de Saint Thomas et des Nestoriens, ainsi que de l’Islam d’autre part sur les pas d’Ibn El’Arabi, d’Andalouisie en Anatolie, avec Sébastien de Courtois et Sakhr Benhassine, modérés par Dionigi Albera
Éclairer, sur les traces de Marco Polo, les causes et les effets – pouvant être aussi bien merveilleux que calamiteux – des routes du commerceavec Charles Mela
Éclairer le rôle des villes dans l’avènement d’un cosmopolitisme écologique et solidaire, ouvert aux migrants, avec Mohamed El Baba de Saïda, (Luc Schuiten, Leo van Broeck sous réserve) modérés par Christian Arnsperger
Découvrir les modèles novateurs d’une bio-économie régénérative et solidaire, visant à préserver conjointement les ressources naturelles et la justice sociale, avec Dorothée Browaeys, Fadi Georges Comair, modérés par Olivier Frérot
Imaginer des modèles démocratiques novateurs, régulant efficacement les effets des mutations technologiques et économiques d’un monde en mouvement permanent par Edwy Plenel
Éclairer, en résumé, l’art du dialogue dans tous ces domaines, entre des penseurs orientaux, de l’Est, du Sud du bassin méditerranéen, et occidentaux, de l’Ouest et du Nord de ce bassin, ainsi qu’entre art et pensée, grâce à la participation conjointe de nombreux artistes, entre autres Najah Al-Bukai, dessinateur, Abnousse Shamani, Ali Erfan, Kenize Mourad, Alexandre Najjar, Hyam Yared et Fawzia Zouari écrivain-es, Dorsaf Hamdani, Arshid Azarine, Mahmoud Chouki et son équipage de musiciens

Comme Pascal Picq en témoignera donc en ouverture des ROO-Mercier 2019, les migrations sont le lot de l’humanité, depuis l’aube des temps. La globalisation des échanges économiques les rendent cependant à la fois plus inéluctables et plus intolérables. Quelle autre alternative donc, que d’apprendre l’art de la mobilité mentale pour naviguer ensemble sur «l’océan de la mondialisation» ? D’apprendre surtout à orienter le cours des mutations actuelles vers des transformations d’abord intérieures, puis extérieures, comme les cercles d’un petit caillou jeté dans l’eau, grâce au concours de citoyens comprenant les enjeux et les défis à relever ensemble ?

Puissent donc les recherches et formations destinées à élaborer les outils conceptuels et méthodologiques nécessaires à ces apprentissages – formant les esprits à l’ouverture, au dialogue, à l’évolution permanente de leurs pensées, connaissances ou opinions, à leur articulation avec d’autres pensées – être scientifiquement entreprises, pour permettre l’émergence d’une intelligence collective ouverte et évolutive ; une intelligence nécessaire au fonctionnement efficace d’une démocratie participative – s’inspirant peut-être du “humming numérique” et des procédures internationales qui commencent à réguler le fonctionnement d’internet ? – auxquelles les gilets jaunes semble aspirer, en s’inspirant plus ou moins du modèle helvétique. Une démocratie à la fois participative et fédérative – adaptant les niveaux de décision aux problèmes à résoudre- apte à mobiliser et articuler des énergies convergeant vers un intérêt général, garantissant l’existence d’intérêts particuliers justes et équitables.

Christophe Darbellay, Conseiller d’Etat, chef du département de l’éducation et de l’économie du Canton du Valais, qui participera à l’ouverture des Rencontres, permettra-t-il bien de lancer le chantier de cette « éducation du futur », prônée entre autres par un Edgar Morin ? Un rêve utopique ?

Utopique peut-être ici et maintenant, en l’état actuel des choses… Mais l’imagination poétique d’un ailleurs possible ne pourrait-elle pas, en incarnant ce rêve dans un grand récit, nous guider pas à pas vers cet ailleurs, mobilisant les citoyens en vue de cette migration révolutionnaire des esprits ? Puissent déjà les récits de Bertrand Badie, Kenize Mourad et Edwy Plenel, directeur de Médiapart – partenaire dès 2019 des ROO-Mercier – activement mobiliser les citoyens à cette fin !

Quelques informations sur les intervenants pressentis ou invités (cliquer sur le nom pour en savoir plus)