ROO 2020

A la croisée des chemins entre haine et fraternité (version no 65 du 06.03.20)

Introduction à la 9e édition des Rencontres Orient Occident du Château Mercier (27 octobre – 7 novembre 2020)

Les dérèglements du monde empirent d’année en année, continuant à fabriquer frustrations, peurs et haines… Alors que le Moyen-Orient s’enfonce de plus en plus dans un chaos volcanique, les vagues migratoires qui en jaillissent augmentent l’insécurité résultant déjà de la croissance des inégalités, désagrégeant la cohésion sociale et creusant le lit de courants populistes, qui sapent les fondements des démocraties libérales… 80 ans après 1939, l’engrenage infernal d’une guerre globale, enclenché en particulier par une économie débridée, de plus en plus prédatrice, se remet à tourner, malgré les enseignements de l’histoire et les progrès accomplis depuis 1945 pour le respect des Droits de l’Homme.

Des progrès butant de surcroît sur les limites des ressources naturelles de la Terre, acculant nos sociétés à sortir de l’ère de la production industrielle de masse et de la société de consommation marchande. Des progrès empêtrés par ailleurs dans les multiples interdépendances de la mondialisation, dont ils résultent, révélées entre autres par la propagation du coronavirus… Ces obstacles à la poursuite du progrès et de la croissance ne risquent-ils pas de conduire les êtres humains à de redoutables foires d’empoigne, si ceux-ci, s’entre-déchirant sous les bannières des «moi d’abord», ne parviennent pas à s’entendre autrement que sur dos des migrants ? Mais le libéralisme actuel, s‘affranchissant des solidarités tissées après 1945, glissant de plus en plus vers sa collusion paradoxale avec les nationalismes, créera-t-il les conditions d’une entente intelligente?

Or la transformation radicale de ces modèles de production et de consommation est incontournable! L’humanité se retrouve à la croisée, cruciale, des chemins, conduisant soit vers le sauve-qui-peut des plus forts et donc la guerre et un suicide collectif, soit vers la recherche dûment concertée de ces transformations; une recherche utopique ? Le réflexe de survie permettra-t-il de maîtriser les réactions primaires de la bête humaine et de miser sur l’Humanité des êtres humains? Un pari utopique? Il anime cependant quelques penseurs visionnaires.

Des penseurs et des artistes, en Europe comme au Moyen-Orient, commencent en effet à baliser quelques voies conduisant démocratiquement à ces transformations. Prenant toute la mesure des ressorts et des effets de la «fabrique de la haine», analysée par Charles Kleiber dans son projet de disputes sur les «transformations du monde», les ROO-Mercier exploreront d’un œil attentif et critique différentes transformations possibles, telles:

  • la métamorphose des structures politiques, capables de «mondialiser la démocratie» (Mireille Delmas-Marty (MDM), Eva Maria Belser, Antoine Messarra, Nicolas Levrat)
  • la métamorphose du droit en un «bricolage juridique» évolutif, adapté à ses contextes (MDM); un droit visant par ailleurs à garantir des biens communs supérieurs au droit de la propriété et des souverainetés nationales ( Giraud)
  • une métamorphose anthropologique, ouvrant les esprits à la conscience des interdépendances entre les êtres humains, ainsi qu’entre leurs activités et la nature (MDM, Gaël.Giraud, François Gemenne, Caroline Abu Sa’da)
  • une métamorphose économique, axée autour d’interdépendances inclusives, dont les circuits pourraient engendrer une réelle transition écologique ( Gaël Giraud, Charbel Nahas, Derek Queisser de Stockalper)
  • des métamorphoses guidées par une «boussole des possibles» (MDM), vers un humanisme pluriel, enraciné dans
    • l’art et la culture, ainsi que des dialogues interculturels (M-A. Moratinos, C. Méla)
    • une presse libre, garantissant l’expression de la pluralité des points de vue (Michel Helou, Jean-Marie Etter, Romaine Jean)
    • des bibliothèques pluriculturelles (Dionigi Albera, Ismaël Serageldin, Francesco Piraino, Mohamed Janjar)

Les ROO-Mercier exploreront également les voies belligènes ou pacifiques, selon qu’elles parviennent ou non à échapper aux diktats d’une économie envahissant et dénaturant les champs de l’activité humaine, ainsi qu’à canaliser et réguler son fonctionnement. Elles exploreront notamment les ambivalences suivantes:

  • de la diplomatie, dans le conflit syro-russo-irano turc ( Aubin de la Messuzière, M. Ziad, A. Insel, A. Salamatian, R. Jean)
  • de la culture, vecteur ou non d’Humanité et de cohésion sociale? (Jean-Frédéric Jauslin, Irina Bokova)
  • du numérique et des réseaux sociaux (Johan Rochel, Solange Ghernaouti, Leila Delarive)
  • de l’écologie, où les dégâts causés par l’exploitation des ressources naturelles sont devenus si visibles, qu’ils pourraient enfin susciter une peur salutaire, conduisant à gérer intelligemment et pacifiquement:
    • les eaux de la Méditerranée (Olivier Dubuquoy, Fadi Comair et Gérard Ayache )
    • la répartition des eaux des grands fleuves ( Fadi Comair, Laurence Boisson de Chazournes et Gilles Mulhauser)
    • les transitions écologiques par des «lanceurs d’avenir» (Marie-Monique Robin, Aline Tawk, Paul Abi Rached, Raphaël Arlettaz)

Elles consacreront également une journée à l’évolution de la situation démocratique au Maghreb, activée par des voix de femmes et les défenseurs des Droits de l’Homme, avec entre autres : Kamel Daoud, Kamel Djendoubi et Driss El’Yazami

Des voies humanistes, éclairées par ces penseurs restent donc ouvertes et praticables, mais parviendra-t-on à y progresser suffisamment vite pour contenir les explosions de la haine? Sans doute ni partout, ni tout le temps; mais quelles autres voies emprunter, où pouvoir marcher debout? Où pouvoir surtout capter le «petit souffle innommé» chanté par Edouard Glissant et Mireille Delmas Marty, plus puissant que les grands vents du monde, provoquant «l’imprévu, l’inattendu» qui nourrit la confiance d’un Edgar Morin? Ce petit souffle que la culture, humaniste ou populaire – en particulier la musique, qui joue un rôle central au sein des ROO-Mercier – peut permettre d’allumer et d’entretenir, comme l’éclaireront Charles Mela dès l’ouverture des Rencontres, de même que, Jean-Frédéric Jauslin et Irina Bokova à leur terme.

MLS